MAURO MAUGLIANI


CONTAMINATION


ESPACE LYMPIA - port de nice

2 QUAI  ENTRECASTEAUX 06300 - Nice

TEXT BY  prof.Edwige comoy fusaro

october 19  -   november 2019

FRA

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« Dénuements »


Mauro Maugliani,


Le Christ est nu, suis-le nu. Cette maxime de Jérôme de Stridon enjoint de se détacher des biens matériels pour s’attacher aux vraies richesses que sont les richesses spirituelles. On pouvait donc difficilement imaginer une représentation plus oxymorique de saint Jérôme que celle que propose ici Mauro Maugliani, puisqu’il le met en scène dans l’un des temples de la consommation hédoniste qui jalonnent nos villes homologuées : Starbucks. Ce n’est sans doute pas un hasard si le titre de cette huile sur toile, Temptations, est en anglais, lingua franca du jour présent. Bien entendu, le clivage est doté d’une forte portée critique. D’ailleurs, en reprenant la figure et la composition du San Girolamo nello studio de Bartolomeo Cavarozzi, Mauro Maugliani met l’accent sur les dérives du modèle axiologique de la société de consommation. Car il est bien question de valeurs : l’inspiration du saint ne vient plus des anges, des Écritures, de la lumière divine (représentés à sa droite dans le tableau baroque) mais d’un milkshake (sûrement farci de conservateurs, graisses et sucres ajoutés) surmonté de l’enseigne lumineuse portant haut les couleurs bien-pensantes (vertes) de l’entreprise, championne de l’économie néo-libérale mondialisée. Il n’est plus de réflexion sur la destinée de la vie mortelle, ni sur la perspective d’une vie meilleure dans l’au-delà, comme le suggère, chez Cavarozzi, la présence du crâne, symbole canonique des Vanités ; plus de crucifix, à la gauche du saint, lui rappelant l’exemple du Christ. Seules demeurent les promesses de la jouissance sensorielle du confort momentané : dorénavant, le blason de la marque américaine est l’unique source lumineuse. Si l’édition 2019 du père de l’Église n’incite guère à renoncer aux plaisirs du superflu et de la chère (à supposer que les nourritures vendues chez Starbucks soient appétissantes), ce sont pourtant bien des mises à nu qu’opèrent les œuvres de Mauro Maugliani. Contamination, le titre de cette nouvelle collection – peintures à l’huile et à l’acrylique, dessins à la pointe d’argent – est éclairant et trompeur à la fois. Les œuvres de Mauro Maugliani révèlent en effet la saisissante vérité que nulle altération ne peut occulter. En montrant l’aliénation de l’individu, il montre aussi son unicité. Par contraste, les contaminations mettent en lumière les nudités. Si les regards de ses « anti-portraits », comme il les désigne lui-même, sont généralement vides, désabusés, parfois inquiets, et si les jeunes femmes apparaissent gonflables, tatouées de codes-barres baguées comme du bétail (comme lors de sa dernière exposition), ou empaquetées à la façon des fleurs coupées (comme dans Slide Away ici), les yeux n’ont de fard que sur les paupières et ne mentent pas : par-delà les atours, on décèle très nettement au travers du regard fixe l’individualité nue de la personne, son intelligence qu’aucune contamination ne peut altérer durablement. L’hébétude et le désarroi des anti-portraits qui ont dominé les précédentes collections de Noli me tangere (Gaeta, 2015) à Recto Verso (Beausoleil, 2018-2019) cèdent ici la place au défi. C’est en somme un dénuement que Mauro Maugliani opère dans ses remakes à l’huile (dans An Ordinary Day, la Cène de Philippe de Champaine est transposée dans un Burger King, comme le saint Jérôme de Cavarozzi dans un Starbucks) et, dans ses portraits, par le choix du minimalisme. Le minimalisme du sujet saisi dans sa pure vérité, sa beauté unique, sans expression de convenance, sans artifice ni falbala, sans niaiseries ni minauderies, va toujours de pair avec une essentialité de la représentation. Mauro Maugliani affectionne les outils les plus simples, de la pointe d’argent des enlumineurs et des artistes renaissants – arte del levare – au stylo à bille de notre contemporanéité, privilégiant souvent la poésie du monochrome ainsi que les supports et attributs les plus humbles : toile de jute, fil de fer, film cellophane, cassettes audios, mur brut. C’est le luxe des grands : la stupéfiante prouesse technique, forgée à l’établi des maîtres et théoriciens de la Renaissance italienne (Cennino Cennini, Leonbattista Alberti, Léonard de Vinci), d’une pratique rigoureuse et de constantes expérimentations, se cristallise dans la juste humilité du simple trait, du cordage élimé. Aussi l’enfant aux cheveux nuageux des savantes Éclipses de Recto Verso (Beausoleil, 2018-2019) nous revient-elle ici en dessins essentiels (Chitchat). L’enfant est d’ailleurs un motif majeur de l’œuvre de Mauro Maugliani et de cette exposition (Ring Around). Il apparaît d’un côté comme une inquiétante empreinte photographique – monochrome rehaussé de touches blanches – sur les morceaux de toile de jute grossièrement cousus, rappelant les Étoiles filantes de l’exposition de Nice et de Rome en 2018 ; d’un autre côté, il apparaît aussi comme l’empreinte du suaire, la petite fille bénissant des deux mains à la façon d’un Christ de la tradition picturale. Le motif religieux – souvent traité en mode décadent – est récurrent chez Mauro Maugliani, dès ses premières expositions (Ego te absolvo, Spoleto, 2014). On le retrouve dans la pose de Madone de My Room, le regard détourné, les cheveux chastement noués sur la nuque, non sans l’ambiguïté de l’étrange halo ferreux qui l’entoure. Le fil de fer est carcan et couronne, auréole et camisole, il défigure et exalte, emprisonne et protège, à la façon d’un cadre : en isolant, il sacralise. Sous ses mailles grossières point la personne inaltérable, le petit enfant pascolien. Telle est sans doute la dernière leçon de cette nouvelle livraison de l’artiste. Au-delà du dévoilement des valeurs hédonistes, matérielles et mercantiles qui ont supplanté les valeurs spirituelles, il révèle la vérité première, l’irréductible pureté de l’éternel enfant dans l’humilité, la grâce et la gravité christiques qui, dans ses œuvres, habitent toujours l’être humain dans sa majestueuse nudité.


Prof. Edwige Comoy Fusaro

Université Rennes 2

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