ETOILES FILANTES

L'époque contemporaine coïncide avec un moment historique, des plus engagés par l'obligation de se souvenir. La journée de la Mémoire nous donne la possibilité de nous arrêter et de réfléchir sur la page la plus tragique et sanglante de l'histoire de l’humanité.

Le Souvenir, qui est de l'ordre de la connaissance, se pose les questions pourquoi, comment et qu’est ce qui est arrivé? Tout comme l'Histoire, il reconstruit et décrit.

La Mémoire, en revanche, qui est de l'ordre de l'expérience, fait appel à nos sens, elle est autobiographique et historique comme le dit dans son essai le célèbre anthropologue Maurice Bloch.

L'oeuvre d'art est quelque chose qui sert à mettre ces processus en mouvement, à stimuler notre capacité de perception, à traduire en image, en concentrant le sens et les idées dans un objet. L’Art comme véhicule de messages, comme instrument de la connaissance, comme expression de l’histoire.

Qu’est-ce qui motive un peintre à revendiquer sa mémoire à celle d'un événement? Les artistes des années trente et quarante ont fixé l'horreur en temps réel, ils étaient en même temps les témoins et les victimes de la barbarie qui s’abattait sur l'humanité et ont réussi de par leur travail à nous léguer un moment de mémoire authentique. Les artistes des générations suivantes, après une période de silence pendant laquelle ils se sont demandés s’il était encore possible de faire de l’Art après l’Holocauste, ont tenté de reconstituer les événements, commençant ainsi un long processus de connaissance qui a dessiné les bases d'une mémoire collective. Une mémoire différente, mais précise et pour cela en mesure d’être transmise aux générations futures.

Mauro Maugliani rentre dans la lignée de cette tendance artistique, il voit la nécessité absolue de retrouver et de préserver la mémoire de la Shoah, arrachant les visages à l’oubli en les intégrant à notre mémoire. L’artiste se base sur des images d’enfants et nous restitue des visages nets en mesure de solliciter des interrogations quant à leur sort. Sur la base d'un travail strictement iconographique, qui commence à partir de photos, Maugliani célèbre la vie retrouvée, sans pour autant perdre la mémoire du génocide. Il recrée servilement la réalité et en même temps est capable de maintenir une distance respectueuse d'une vérité insupportable. Les portraits, si réels qu’il nous semble voir des photos, sont réduits au noir et blanc. Aucune distraction n’est autorisée, afin de solliciter chez le spectateur des questions directes et incisives comme l’instrument dont il se sert pour graver le bois, faisant ainsi apparaitre les visages et évoquant leurs histoires. De cette façon, ces portraits émergent métaphoriquement de la matière, restituant voix et visage à ces enfants. Leurs regards, gravés, rayés et usés par les mains de l'artiste, surgissent de l'obscurité du noir ; Aucune mention, aucun indice, nous permet de comprendre leurs origines, leurs nationalités. Ce sont des enfants juifs de Paris, Nice, Rome, Berlin… Ce sont seulement des enfants innocents et nous avons le devoir de nous souvenir d’eux en tant que tels. De ces enfants, l'artiste nous fournit le nom, mais ne nous suggère pas qui d’entre eux est revenu des camps de la mort. Tous doivent survivre grâce à notre devoir de mémoire et à notre souvenir. Étoiles filantes, c’est ainsi que l'artiste les appelle, précieuses et lumineuses, capable de nous montrer le chemin de la résilience, c’est à dire la capacité de faire face d'une manière positive à des événements traumatiques et de retrouver ainsi le sens d’une 'humanité perdue. Par son travail, Mauro Maugliani ne célèbre pas les Morts, mais bien les Vivants. Il allume les lumières de la mémoire pour ne pas oublier la douleur dans le but de construire un avenir digne d'être vécu par les enfants.

Giorgia Calò

Adjoint à la Culture

Communauté Israélite de Rome

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